Mar 122015
 

Brahim et Mathilde, Marianne et Aladdin, Emmanuel et Natacha, Fanny et Alejandro… Ces amoureux en lutte pour leur liberté d’aimer dévoilent leur histoire dans le livre Haut les cœurs. Des témoignages qui cherchent à faire reculer les préjugés et avancer la tolérance. Face à des politiques migratoires toujours plus restrictives, à des pratiques administratives discriminatoires, à une constante suspicion de fraude, ces récits recueillis par l’association des Amoureux au ban public font prendre conscience des difficultés à vivre librement son amour et sa vie de famille lorsqu’on est un couple franco-étranger.

« Un long combat contre l’administration, qui a duré presque dix ans »

« Un résumé en quelques lignes de 10 ans de combat semble bien difficile ! », nous dit Emmanuel. En 1994, Emmanuel séjourne à Madagascar où il travaille en tant que jeune consultant Télécom. Il y rencontre Natacha, « belle et pétillante d’intelligence et d’insouciance ». Quatre ans plus tard, Emmanuel retourne s’installer à Madagascar. Il est expatrié, responsable informatique d’une société française. Natacha, quant à elle, dirige un établissement de jeux. « Nous avons vécu des moments formidables et conçu à Antananarivo (capitale de Madagascar, NDLR) notre premier enfant ensemble. Deux autres suivront. »

« A partir de ce moment a commencé pour nous un très long combat contre l’administration, qui a duré presque dix ans. » Le couple souhaite s’installer à Montpellier et donner naissance à leur premier enfant en France, ce qui n’a pas été possible. Natacha accouche donc à Madagascar.

En 2001, Emmanuel et sa femme s’expatrient au Caire, en Egypte, où ils s’installent pour mener leur vie de famille. Ils s’y marient et obtiennent la transcription de leur mariage sur les registres de l’état civil français. En 2004, grâce à l’obtention d’un visa long séjour pour Natacha, la famille peut venir s’installer en France. Après avoir renouvelé son titre de séjour plusieurs fois, Natacha obtient une carte de résident d’une durée de 10 ans, puis, en 2009, la nationalité française.

« Au delà de toutes ces bagarres administratives, nous avons aussi dû lutter contre l’intolérance, les préjugés et la méfiance qu’inspire une femme africaine aussi bien dans la « bonne société catholique parisienne », que dans le monde des expatriés français où j’évoluais à l’époque. J’ai dû rompre assez violemment avec ma famille et changer plusieurs fois de métier, mais le bonheur est à ce prix et si c’était à refaire, je recommencerais tout sans l’ombre d’une hésitation. »

Emmanuel écrit cette lettre (voir ci-dessous) que vous allez découvrir en 2011, « alors que la situation administrative de notre famille était bien stabilisée, nous étions plus en lutte pour obtenir une reconnaissance familiale de notre couple. » Il fait le choix de les adresser à sa belle-mère, car « cette femme restera toujours pour [lui] un modèle de courage et de dignité ».


« Dis Papa, pourquoi Maman doit retourner dans sa rizière ? »Seraincourt, août 2011.

Maman,

Pour vous montrer combien votre petit-fils grandit, je voulais vous raconter la dernière aventure qu’il nous a fait vivre. Ce coquin nous a mis dimanche dernier dans un drôle d’embarras !

Figurez-vous, de retour de la messe du dimanche, que nous étions à table dominicale chez mes parents, quand Sébastien, cet adorable petit garçon de 10 ans, demande à la cantonade « Papa, pourquoi le voisin, il dit que Maman doit retourner dans sa rizière ? ».

Il faut savoir que depuis que son épouse est décédée, ma mère apporte à ce voisin une salade tous les midis, « pour qu’il puisse aller en forme faire ses prières ! ». Bien, après quelques toussotements gênés de ma mère qui a essayé de changer le sujet de conversation, j’ai pris votre petit-fils sur les genoux et j’ai essayé de lui expliquer cette triste réalité de la manière suivante :

« Tu sais mon grand, ta Maman vient d’un pays très lointain, Madagascar, et grâce à cela, vous êtes toi et ton frère à la fois malgaches et français, vous avez deux origines très différentes avec des coutumes différentes. Cela vous donne une grande richesse car vous êtes un mélange de ces deux mondes, et que pour chaque moment de la vie, on essaye, ta mère et moi, de vous faire connaitre la réalité de chacune de vos origines. Un jour, dans de nombreuses années, vous recevrez les terres que possède votre Maman là-bas, exactement comme notre maison de Seraincourt qui sera à vous. Vous savez manger le Ravitoto sur une natte dans la cour de Mamy, comme vous savez bien vous tenir sur votre chaise chez ma Maman.

Mais beaucoup de gens en France ne connaissent pas d’autres vies que celle d’ici. Pour eux, Madagascar est un monde inconnu, qui leur fait peur, car les hommes ont souvent peur de ce qu’ils ne connaissent pas, exactement comme toi qui as un peu peur du collège : ta maitresse t’en a parlé, tu l’as vu de loin, mais tant que tu n’iras pas tous les jours, que tu ne le connaitras pas bien, tu risques de regretter ta vieille école.

Pour beaucoup de Français ici, c’est pareil, comme ils ne connaissent pas le pays de ta Maman, ils le refusent, et donc ne veulent pas qu’elle reste ici, pour être sûrs qu’ils pourront toujours garder leurs coutumes, leurs habitudes.

Simplement, mon grand, tu peux te dire qu’ils n’ont pas la chance que tu as de vivre dans un environnement de mixité, si un jour ils veulent bien t’écouter, tu pourras leur dire le bonheur que tu as d’avoir deux cultures, mais sinon, cela n’est pas grave, tu resteras toujours mon petit prince, riche de ta diversité, et surtout, mon grand, n’oublie jamais que tu es aussi malgache que français, et que tu peux en être fier. »

Vous auriez été heureuse, Maman, de voir combien votre petit-fils est attaché à ses racines malgaches, il nous pose souvent des questions sur les lémuriens, sur l’école et les jeux de ses cousines, ou même sur l’évolution de votre maladie. Nous espérons tous pouvoir venir vous voir rapidement.

Voilà Maman, je vous embrasse tendrement et espère pouvoir revoir vite la chaleur de votre regard, de votre accueil et de l’amour que vous pouvez nous donner.

Emmanuel


Lire la deuxième lettre publiée et l’intégralité de l’article sur Bastamag !

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