Fév 142017
 

Article à retrouver sur le site de FranceInfo

Mariée dans les Vosges, à Neufchâteau, le 27 février 2016  à un ressortissant tunisien, Sandrine Farnocchia, conseillère municipale de la ville, ne peut revoir son époux, privé d’entrée sur le territoire.

Par Thierry Pernin

L’amour, dit-on, ne connaît pas de frontières, mais parfois il complique les choses. Un couple franco-tunisien, séparé par la Méditerranée et par un refus de visa, en témoigne. Lundi 13 février 2017, Sandrine Farnocchia, de Neufchâteau, attend désespérément que son mari puisse revenir en France.

La rencontre
Pendant l’été 2014, Sandrine Farnocchia fait la connaissance de Mahdi Bennour, 34 ans, alors qu’elle est en vacances dans le Sud de la France.
Une véritable idylle naît entre la conseillère en formation au Greta et son amour de vacances, arrivé sur le territoire français deux ans plus tôt avec un contrat de travail jeune travailleur.
Après les vacances, comme Mahdi n’a pas régler sa situation à temps, la police lui signifie de quitter le territoire.

Le mariage
Depuis, Sandrine et Mahdi ont tenté de régulariser cette situation puis, en toute connaissance de cause, le 27 février 2016, Simon Leclerc, maire de Neufchâteau, a même consenti à les unir en mairie.
Trois semaines plus tard, le 16 mars, Mahdi est retourné en Tunisie pour ne pas se retrouver en centre de rétention.

L’attente
Aujourd’hui, malgré les attestations de voisinage et les interventions des élus, le consulat français, à Tunis, bloque le dossier. Il considère que c’est un mariage blanc et refuse le retour de Mahdi.

Nov 102016
 

Le 7 mars 2016, le législateur a adopté la loi n°2016-274 relative au droit des étrangers. Modifiant considérablement le code de l’entrée et du séjour des étrangers, cette réforme a un impact significatif sur la situation des couples binationaux en France.

La loi est entrée pleinement en vigueur le 28 octobre 2016 à travers son décret d’application, nous laissant à présent face à un potentiel de nouvelles pratiques administratives que les juges mettront plusieurs mois à rectifier.

A retenir parmi les mesures  affectivement directement ou non les couples binationaux :

– La suppression de l’article L.211-1 listant les obligations de motivation de refus de visa a pour conséquence une obligation de motivation générale en droit et en fait (selon l’art L.211-1 du code des relations entre le public et l’administration). En pratique, la motivation de refus de visa est standardisée et remise sous forme d’un formulaire avec « case motif » cochée.

– L’article L.211-2-1 est profondément modifié, tous les visas de long séjour valent titre de séjour (VLS-TS) en France (cf art R.311-3), le VLS-TS « conjoint.e de Français.e » est délivré de plein droit (mention symbolique) et dans les meilleurs délais. Le « pré-CAI » (tests de langue et production de l’attestation de suivi de formation) est supprimé dans les délégations OFII consulaires et est remplacé par la remise d’un document d’information sur la France (le pays, la société, les droits et les devoirs).

– L’article L.311-9 instaure un nouveau dispositif d’intégration à l’arrivée en France : le « contrat d’intégration républicaine ». Il comprend la signature du contrat d’intégration républicaine par lequel l’étranger s’engage à suivre un certain nombre de formation (civiques et linguistiques), l’accompagnement de l’OFII est alors « personnalisé ». L’ensemble de ces formations est pris en charge par l’Etat. Le respect du CIR et le suivi des formations est indispensable à la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle.

– L’article L.313-12 prévoit le renouvellement de plein droit de la carte de séjour temporaire (CST) des personnes victimes de violences familiales ou conjugales en situation de rupture de communauté de vie, sous réserve de la preuve rapportée par tout moyen des violences subies. En pratique la preuve reste difficile à apporter en l’absence de condamnation pénale ou mesure de protection.

– Les articles L.313-17 et -18 prévoient la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle (CSP) au ressortissant étranger qui en fait la demande, sous réserve du respect des conditions de délivrance suivantes : respect du CIR + continuer de remplir les conditions de délivrance de la CST précédente + ne pas exprimer de « rejet des valeurs essentielles de la société françaises ».

Elle n’est cependant que de 2 ans pour les cartes mention « vie privée et familiale » des étranger.es conjoint.e de français.e, parents d’enfant français, ayant des liens privés et familiaux autres (PACS, concubinage, etc.) et bénéficiant d’une protection subsidiaire (au lieu de 4 ans pour le passeport talent par notamment).

– L’article L.313-19 indique que si la délivrance de la CSP est possible en changement de statut, elle ne l’est cependant pas du statut VPF vers salarié, obligeant alors le demandeur à revenir à une CST et à de nouveau précariser dangereusement sont séjour.

– L’article L.314-9 réinstaure la délivrance de la carte de résident (10 ans) de plein droit pour les conjoints.es et parents de Français.es après des années de délivrance discrétionnaire et aléatoire, sous réserve de satisfaire les conditions générales de délivrance de la carte (intégration, maîtrise du français, etc., cf art L.314-2 à 5), auxquelles s’ajoutent à Mayotte des conditions de ressources de manière totalement discriminatoire.

– L’article L.313-5-1 établit en revanche une lourde contrepartie  à la délivrance des CST et CSP : un contrôle à tout moment de l’actualité du droit au séjour du titulaire du titre. Motivée par une politique stigmatisante de lutte contre la fraude, les pouvoirs des préfectures sont étendus pour vérifier la véracité et l’exactitude des déclarations des demandeurs ainsi que l’authenticité des pièces justificatives fournies. Au moment du renouvellement ou en cours de validité de la carte, les contrôles seront ciblés et n’auront pas à être motivés. Le constat d’une irrégularité pourra avoir pour conséquence le refus de renouvellement du titre ou le retrait. Ces décisions de refus/retrait seront motivés par : ne remplit plus les conditions de délivrance (la charge de la preuve repose entièrement sur le titulaire de la carte), fait obstacle aux contrôles, ne défère pas aux convocations (plusieurs entretiens possibles).

Ce régime particulièrement symptomatique de la mainmise de l’administration sur la vie privée des titulaires de titre de séjour fait peser sur leurs épaules le spectre d’un changement de vie brutal et inopiné. Pour mettre en œuvre ce contrôle les services préfectoraux bénéficient désormais d’un droit de communication auprès d’autres organismes, s’immisçant ainsi dans quotidien des personnes étrangères avec des attentes complètement normatives et déconnectées de la réalité des parcours de vie.

L’article L. 611-12 explicite les modalités de recueil de l’info auprès des personnes privées et publiques : seul le secret médical reste opposable ; les services d’état civil, la Direccte, la sécurité sociale, pôle emploi, les établissements scolaires et d’enseignement supérieur, les fournisseurs d’énergie et télécommunication, les établissements de santé publics et privés, les banques et organismes financiers, et les greffes des tribunaux de commerce pourront être solliciter pour comparer directement à la source. Ce dispositif concerne les instructions de première demande et de renouvellement  des APS, CST, CSP et CER, ainsi que les contrôles prévus à l’art L.313-5-1.

– Les articles L.511-1 et L.512-1 modifient quant à eux de manière assez complexe le régime de l’éloignement des étrangers. Pour les couples binationaux les répercussions sur les projets de vie à deux peuvent être dramatiques. En passant à côté d’un délai de recours trop bref, le contrôle après une OQTF non exécutée entraine la prise d’une mesure d’interdiction de retour sur le territoire de plusieurs années après un éloignement d’office, ce scénario bien ficelé désormais orchestré par le ceseda, risque de conduire de nombreux couples à la séparation forcée !

Lorsqu’une OQTF est prise avec un délai de départ volontaire de trente jours, le délai de recours passe désormais à 15 jours si la personne était entrée irrégulièrement sur le territoire, s’était maintenu au-delà de son droit de circulation court séjour ou de son titre sans en demandé le renouvellement ou si elle a été débouté de sa demande d’asile, ce qui concerne dans les fait énormément de personnes ! Le recours est alors jugé en 6 semaines par un juge unique sans rapporteur public (cf article L512-1 I 1°2°4°6°).

Lorsqu’une OQTF est prise sans délai de départ volontaire, si elle n’est pas assortie d’une mesure de placement en rétention ou d’assignation à résidence, le délai de recours est de 15 jours dans les mêmes conditions que précédemment. Mais lorsqu’une mesure de placement en rétention ou d’assignation à résidence est prise, le délai de recours passe dans tous les cas à 48h même si l’OQTF prévoyait initialement un délai de départ volontaire.

Toute OQTF sans délai de départ volontaire ou constat qu’une OQTF n’a pas été spontanément exécutée dans le délai imparti, donne lieu à une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) de un à trois ans, sauf si des « circonstances humanitaires » justifient qu’elle ne soit pas prononcée.

Une IRTF peut également être prononcée dans toute autre situation pour 2 ans maximum. Le délai de recours contre l’IRTF est calé sur le délai de recours de l’OQTF qu’elle assortit ou à défaut de 15 jours. L’IRTF peut être exécuté d’office par l’administration pendant toute sa durée sans qu’il soit besoin d’une nouvelle OQTF. Cette mesure implique automatiquement une inscription au fichier SIS II, elle est donc valable pour tous les Etats de l’espace Schengen. C’est une véritable mesure punitive pour toute personne qui ne se serait pas conformé ou qui aurait tenté de se régulariser en vain !!

 

Les Amoureux au ban public, qui n’ont vu aucune de leurs revendications satisfaites par la nouvelle loi exceptée le retour de la carte de résident de plein droit et la fin du « pré-CAI », resterons donc attentifs à ce que cette loi en demi teinte, à la fois créancière et punitive, ne dégrade pas d’avantage la situation de précarité et d’incertitude que vivent déjà de nombreux couples binationaux assénés de propos suspicieux lors de contrôles, soumis à des exigences de preuves arbitraires et démesurées, et aux aléas liés aux pratiques administratives.

 Publié par le 10 novembre 2016
Oct 062016
 

Avec l’aimable autorisation de son auteure, nous partageons avec vous un message posté sur les réseaux sociaux qui en dit long sur le regard de l’administration et de la justice sur « la vie commune » des couples franco-étrangers…

audience-tribunal

« A droite, les éléments du Préfet et à gauche les miens.

On débattait – enfin je débattais toute seule en audience (le Préfet n’a pas besoin de venir défendre ses décisions) – sur une décision préfectorale qui conteste la réalité de la vie commune de mes clients et donc refuse de délivrer un titre de séjour à Monsieur.

J’ai du costaud dans mon dossier, çà fait pas un pli.

Et bien le juge, tout tranquille (on est entre nous aussi hein, Madame, Monsieur, la greffière et puis lui et moi) s’offusque, ne comprend pas.. « Vos clients ne sont pas très malins aussi, enfin prudents ; ils sont dans l’attente d’une décision préfectorale qui doit examiner la réalité de leur vie commune et Monsieur s’autorise à dormir parfois chez son ami et employeur parce que, dit-il, les contraintes de certains chantiers l’y obligent »

Et de poursuivre « et puis, il n’a pas le droit de conduire en France, certes, mais il peut prendre les transports en commun non..1h30 pour se rendre au travail, c’est ce que beaucoup d’entre nous font, non ? »

Et sinon, un juge pense qu’il peut insulter les justiciables – en leur reprochant dans le même temps d’être honnêtes dans leurs déclarations, organiser leur vie, refaire la déco de leur appart’ (ils ont eu la légèreté et le mauvais goût de ne pas afficher aux murs de leur maison des photos de mariage). Et tout cela en s’agaçant profondément.

Oui, parce que le juge, en fait, il ne fait pas du droit, il en à marre..il veut être « Pascal le grand frère » ou organisateur de mariage ou thérapeute de couple ou décorateur d’intérieur..mais le droit non, il n’en peut plus »

Jan 152016
 

Depuis la fin août 2014, les étrangers ne sont plus obligés de dormir devant la préfecture du Rhône pour leur demande de titre de séjour.

Pour remédier aux trop longues files d’attente, le préfet à mis en place un système de prises de rendez-vous sur Internet. Mais le diable se cache dans les détails : pour ceux qui ont déjà un titre de séjour, ce nouveau système peut aboutir à la perte de leurs droits, notamment au travail.

C’est le cas d’Igor. Ce Camerounais de 24 ans est marié à une Française, Agathe. Elle témoigne.

« Avant, c’était la queue à partir de 2 heures du matin »

Nous nous sommes mariés en 2013 au Cameroun. Je suis française et nous nous sommes rencontrés il y a huit ans, l’année de nos 16 ans lors d’un voyages d’échange d’expériences entre lycéens camerounais et français.

Nous avons vécu au Cameroun quelques mois en 2013, puis nous avons décidé de nous marier pour que mon mari rencontre ma famille et mon pays.

En février 2014, il arrivait en France avec un visa et titre de séjour « vie privée et familiale/conjoint de français », après déjà de longues démarches auprès de l’Ofii.

En décembre 2014, nous faisions la queue à 2 heures du matin avec notre dossier de renouvellement de titre de séjour : 7 heures d’attente en plein centre-ville chic de Lyon.

Sous la pluie, avec le stress que le dossier ne soit pas complet.

« Je redoutais de passer une nuit dehors en novembre »

Cette année, nous nous préparions pour recommencer. Aux alentours du mois de septembre 2015, on s’est dit « Bon, préparons les dossiers pour aller a la préfecture dans les prochains mois ». C’est là que mon mari (qui est peintre industriel) a parlé avec un collègue de travail.

Ce dernier l’a informé que dorénavant la préfecture organisait des rendez-vous et qu’il ne fallait plus faire la queue à la préfecture.

Nous étions contents car je redoutais déjà de passer une nuit dehors en novembre comme l’an passé. Je suis allée sur Internet début octobre pour réserver un rendez-vous et, surprise, plus de date disponible avant début février 2015, soit 7 jours après l’expiration du titre de séjour d’Igor.
7 jours de carence, cela voulait dire :

  • l’arrêt de son contrat avec son entreprise d’interim
  • la fermeture de son compte en banque
  • l’arrêt de ses droits Pôle emploi
  • et au pire, il peut être expulsé!
Des délais qui explosent pour obtenir un rendez-vous
Selon les associations et les avocats spécialisés dans le droit des étrangers, si un demandeur se connecte aujourd’hui sur le site de la préfecture du Rhône, il obtient une convocation pour le mois de mai, dans cinq mois. Or pour un renouvellement de titre de séjour, la demande se fait dans les deux mois précédant l’expiration du titre de séjour. C’est un délai légal. Par conséquent, des centaines de personnes qui sont en règle se retrouvent sans papiers durant cette période de carence.
Lire la suite sur le site de Rue89Lyon
Août 032015
 

Aujourd’hui 1er juin a lieu l’audience de Tiago et Lucia au tribunal administratif de Paris. Ils ont fait un recours pour savoir si Tiago, le conjoint de Lucia, pourra ou non s’installer sur le territoire français. Tiago a décidé de ne pas venir car il était particulièrement nerveux. Juliette, la coordinatrice juridique des Amoureux au ban public, accompagne Lucia.
Après des études de musique à Paris, Lucia a décidé de s’installer durablement en France. Depuis elle donne des cours de piano à domicile et développe des ateliers musicaux. Elle a rencontré Tiago, originaire du Brésil, avec le temps leur relation a muri et ils ont décidé de se marier.
Les revenus de Lucia sont faibles et irréguliers, selon la préfecture de police, son séjour sur le territoire n’est pas justifié. En pratique, les choses sont différentes, il n’est pas envisageable d’expulser un citoyen européen. Cependant c’est sur ce motif que la justice administrative entend accorder ou non à Tiago un titre de séjour. En effet pour qu’il puisse l’obtenir, Lucia doit justifier elle-même son droit au séjour par l’exercice d’une « activité professionnelle principale et effective », à savoir selon l’interprétation actuelle de l’article L.121-1 du CESEDA par la justice administrative, une activité dont elle tire « les revenus suffisant » lui permettant de ne pas être une charge pour le système social français.
On en est là pour le séjour des couples européen–étranger en France, le couple est opérateur économique contributif, sinon qu’il reste ailleurs.

Au tribunal administratif de Paris
Jambes nouées, peut-être que l’estomac l’est aussi. Ça rigole, mais le cœur n’y est pas. Il y a quelque chose de lourd, comme lors des grands jours. Mais aujourd’hui n’a rien de grand, il est important mais méprisable. Dans quelques instants l’audience de Tiago et Lucia au Tribunal administratif de Paris commence.
Elle s’inquiète, se demande si l’absence de Tiago leur sera préjudiciable. Elle se renseigne, essaye de savoir, de comprendre, de prédire. Elle est espagnole, et pour rester en France, il lui faut jouir d’un certain revenu, la présence de son conjoint sur le territoire est elle aussi indexée sur les gains de Lucia.
Elle est comme résignée. Le faire pour le faire. Dans le fond elle sait déjà, elle espère avoir tort, mais elle sait.
On peut sentir chez elle comme une sorte d’indifférence. Une absence de vigueur, après des mois passés à attendre et à accumuler des pièces administratives et des bouts de papiers en tout genre, il ne reste plus rien, si ce n’est une sorte de dégoût. Les soutiens sont là, mais elle est toute seule. Toute seule au milieu de ses problèmes. Ça n’a rien de simple, les autres imaginent et comprennent, mais c’est tout.
Dans la cour du tribunal administratif, pour les autres la vie continue, il fait beau, le ciel et bleu et le soleil haut.
Il y a des policiers. Parmi eux un moustachu à lunette, clope électronique au bec, il est à quelques années de la retraite. Il y a aussi un jeunot, coupe carrée, concentré sur son sandwich, son regard est intense, peut-être qu’il cherche derrière une feuille de salade la réponse à une question importante. Il y en a encore d’autres, ils sont là dans la cour, par groupe de trois, en apparence ils n’ont pas l’air de faire grand-chose, ils discutent.
Des avocats en robe vont et viennent, pendus au téléphone ou happés par les feuilles volantes d’un dossier parmi tant d’autres.
De l’extérieur à travers la fenêtre on voit la salle d’audience, elle est vide, elle nous attend…
Avant d’entrer dans la salle d’audience, on passe par une salle d’attente, elle est découpée en petites cabines. Trois plaques de verre, un mur, rien pour couvrir ou arrêter le son des voix, au centre de la cabine une table et quelques chaises. L’intimité selon la justice.
L’avocate discute avec Lucia, elle lui explique ce qu’elle va dire durant l’audience, elle la rassure et essaye d’évoquer les réactions possible du tribunal. Elle lui dit que les juges ne seront pas surpris de l’absence de Tiago, qu’ils ont l’habitude de ce genre de chose, mais que venir n’aurait pas été du luxe.
Quand on entre dans la salle d’audience le parquet grince, impossible d’être discret, on se sent aussi coupable qu’un cambrioleur dans un vieil hôtel particulier parisien.
Sur le mur de droite, une grande toile, elle n’est pas vraiment belle, mais ce n’est pas vraiment grave. Deux ventilateurs tournent à plein régime, mais rien à faire, l’air est pesant. Il fait chaud. La salle est vide. On attend.
L’audience reprend, la greffière ouvre la porte et annonce l’entrée du tribunal.
Ils sont quatre, deux quinqua et deux quadras. Ils sont gris, des pieds à la tête.
La greffière annonce l’affaire. L’assesseur de droite l’expose…L’avocate va à la barre, avant même qu’elle commence celui de gauche est déjà perdu dans ses pensées.
Le rapporteur publique se lève et lit. Vite, beaucoup trop vite. Peut-être qu’il espère relancer à lui tout seul la machine judiciaire française. Quoiqu’il en soit, il est difficile de le comprendre et de le suivre. Ce qu’il en ressort c’est que Lucia à une activité professionnelle marginale. Et qu’elle est donc une charge pour la France, car son revenu est complété d’une aide de l’Etat.
Après au moins cinq bonnes minutes de maltraitance envers la ponctuation, le rapporteur public s’arrête, et reprend son souffle. Dans une articulation parfaite, lente et mesurée, il annonce : « Conclusion rejet de la requête ».
L’avocate commence sa plaidoirie, elle bafouille mais avec ferveur, elle n’est pas très à l’aise. Elle pointe du doigt le fait que malgré les faibles revenues de Lucia, et « l’instabilité » de son activité professionnelle, celle-ci est réelle. Depuis 2007 Lucia est en recherche constante de nouveaux élèves et travaille à l’accroissement de son activité.
A ce stade, tout s’interprète comme une forme de désaccord. Le juge du milieu qui prends des notes avec un stylo rouge et dont le visage traduit la réflexion mouvementée qui a lieu dans sa tête, l’assesseur de gauche qui croise les bras et recule sur son siège.
L’avocate, conclut, elle se répète dans l’espoir de voir les idées qu’elle a développées s’incruster dans l’esprit des juges.
L’audience est finie. Tout le monde sort. Juliette, Lucia et l’avocate discutent et pronostiquent, pointe les points positifs et les points négatifs de la prestation de l’avocate.
Lucia a le visage fermé, il n’est plus question de sourire, encore moins de rire, faire bonne figure n’importe plus vraiment maintenant. Il suffit d’attendre, un mois, un long mois, durant lequel Tiago et elle devront continuer à vivre comme si de rien n’était et se préparer pour un éventuel appel.
Le recours de Lucia et Tiago ainsi que l’intervention volontaire des ABP ont été rejetés le 15 juin 2015. Ils ont interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Paris, et l’association continue de soutenir le couple.

Lahoucine, volontaire en service civique.

Juil 292015
 

Par un jugement en date du 2 juillet 2015, le Tribunal administratif de Cergy Pontoise a annulé l’arrêté par lequel le Préfet des Hauts-de-Seine refusait la délivrance d’un titre de séjour et obligeait à quitter le territoire français une ressortissante japonaise pacsée à un ressortissant français en raison de sa faible durée de communauté de vie et de présence sur le territoire.
Madame Y, japonaise, et Monsieur G, français, se sont rencontrés au Canada au début de l’année 2011 alors que Madame Y y travaillait et que Monsieur G y était pour ses études.
Après un an de vie commune au Canada, ils ont décidé de s’installer en France. Cette décision était importante car Monsieur G préférait être suivi dans son pays d’origine pour ses problèmes de santé.
C’est ainsi qu’en mai 2012 ils sont arrivés en France. Ils ont souscrit à un pacte civil de solidarité (pacs) en août 2012 et ont emménagé ensemble.
Entre 2012 et 2013, pendant 8 mois, Madame Y a dû rentrer au Japon et a dû s’y maintenir plus longtemps que prévu auprès de sa mère malade. Monsieur G s’est organisé pour aller passer 15 jours au Japon retrouver sa compagne rencontrer sa belle-famille. Pendant ces 8 mois de séparation, ils ont correspondu presque quotidiennement par mail et Skype.
En juin 2013, Madame Y est rentrée en France et a demandé un titre de séjour qui lui a été refusé par le préfet des Hauts-de-Seine. Le préfet considérait que sa première entrée en France datait de juin 2013 et ne tenait donc pas compte de leur vie commune avant 2013.
Le 2 juillet 2015, le Tribunal de Cergy-Pontoise a annulé cette décision du préfet. Le Tribunal a considéré « que si la vie commune du couple a été interrompue pendant 8 mois (…) en raison du retour de Madame Y au Japon pour veiller sur sa mère malade, il apparaît que la communauté de sentiments n’a été nullement interrompue, le couple correspondant très régulièrement par Skype. ».

Le Tribunal a donc jugé dans ces circonstances que si la communauté de vie pouvait être interrompue par une séparation géographique, ce n’était pas le cas de la communauté de sentiments.Le Tribunal fait donc de l’existence d’une communauté de sentiments le critère essentiel de la demande de titre de séjour « vie privée et familiale » d’un ressortissant étranger pacsé à un Français .

Les Amoureux au ban public, qui ont soutenus ce couple dans ses démarches, saluent ce jugement du TA de de Cergy-Pontoise, protecteur de la vie privée et familiale des couples binationaux pacsés.
Référence de la décision : TA Cergy-Pontoise, 02/07/2015, 1411005 (jugement au fond),  et 18/12/2014 1411358-16 (référé suspension).

 Publié par le 29 juillet 2015
Déc 172014
 

Quelle ne fut ma surprise lorsqu’on m’a dit que je n’y avais pas droit étant algérien…

Tout commence lorsque je rencontre Alexandra, 23 ans, le 20 juillet 2014. J’étais sans papiers mais entre nous ce fut le coup de foudre. J’étais sans papiers à Paris et elle une rouennaise. Très vite on s’installe ensemble chez un de mes amis à Rouen (lui-même algérien) pendant un mois puis dans notre appartement le 05 octobre dernier.
Celle qui est aujourd’hui ma femme a voulu qu’on aille se marier afin que je puisse finir mes études ici et que je puisse également travailler.
Quelques jours plus tard, nous prîmes rendez-vous à la mairie ou nous sommes domiciliés et Tout s’est parfaitement bien déroulé !

Nous nous sommes mariés un samedi, le lundi d’après – et après avoir constitué mon dossier – je me présente à la préfecture de Rouen à 09 h 00 du matin pour que mon tour vienne à 12 h 15…
Me présentant au guichet, la préposée m’a demandé sèchement mon passeport, et en voyant que mon visa de court séjour n’était plus valide, elle me donne une feuille rose sur laquelle figure une liste d’autres pièces à fournir (plus d’une dizaine en tout) et me somme d’envoyer mon dossier par courrier sans possibilité d’avoir un récépissé de dépôt de dossier, sauf si je retourne en Algérie pour y demander un visa de long séjour.
En posant cette question: « et qui s’occupera de ma femme si je repars pour plus d’un mois en Algérie ? », la réponse qu’a eu cette dame fini de m’achever: « vous savez ? Ce n’est pas 1 mois ou deux qui vont la tuer ! ».
Je pris la direction de la sortie résigné et démoralisé !
Ma femme m’a avoué avoir honte pour son pays. Pays des droits humains qui ne soucie même pas de sa ressortissante qui sera séparée de son mari pendant 1 mois ou deux !
Bref, ne trouvant pour le moment aucune aide autour de moi, tout ce que je peux faire c’est témoigner espérant secrètement que ça aidera à changer quelque chose.

Yacine

 

 Publié par le 17 décembre 2014
Nov 192014
 

J’ai rencontré Miloud à la fin de l’année 2013.

J’étais séparée, lui sans papier algérien. J’ai 15 ans de plus que lui. Fin février il s’est installé chez moi.

Mon divorce a pris du temps et n’a été prononcé que mi-septembre. Donc sans attendre davantage nous déposons notre dossier de demande de mariage. Le maire nous auditionne quelques jours plus tard et nous annonce saisir le procureur. Nous recevons rapidement un courrier du procureur qui demande de surseoir à la cérémonie pour procéder à une enquête de gendarmerie dans le délai d’un mois.

Le mois s’écoule, rien … pas de convocation à la gendarmerie, ni visiblement d’enquête de voisinage (nous habitons un village de 1600 habitants). Le délai se terminait un dimanche. Aussi, le vendredi précédent je me rends à la mairie qui me dit préférer vérifier que le mariage peut bien se faire le vendredi suivant en téléphonant au tribunal dès le lundi.

Attente…

Le lundi la secrétaire de mairie nous annonce que le procureur demande une prolongation car l’enquête n’est pas terminée. Je rentre à la maison et voici enfin (si j’ose dire) les gendarmes qui viennent pour nous convoquer. Ils avouent ne pas avoir réalisé à quelle date l’enquête devait être close et ne l’avaient donc pas commencé ! Le lendemain audition à la gendarmerie qui se passe bien.

Mercredi à 18 h la mairie me téléphone pour nous annoncer que finalement le procureur ne demandait pas de sursis supplémentaire car les gendarmes n’ont pas fait leur boulot, que le délai est dépassé et que nous pouvions nous marier.
Rappel des amis et témoins, et le jeudi je confirme à la mairie que la cérémonie de mariage pourra bien avoir lieu le vendredi soir. Vendredi soir mariage et fête avec la famille de Miloud, amis et témoins. Le lendemain, de nouveau une fête avec mes frères et sœurs à qui nous avons finalement fait la surprise.

Aujourd’hui mercredi 12 novembre, nous sommes allés à la préfecture avec tous les papiers justificatifs nécessaires et nous sommes ressortis une demi-heure plus tard avec un récépissé valable 3 mois qui permet à Miloud de chercher du travail. Hourra !

Moi, j’aime énormément Miloud et je n’avais pas besoin de ce mariage pour l’aimer et qu’il m’aime. Ce mariage était nécessaire pour ses papiers. Nous avons expliqué cela au maire et je pense que cela n’a pas été une bonne chose, ça a été mal interprété. Tout ce que nous avons dit quand nous avons été auditionnés, c’est que nous souhaitions être autonomes financièrement, que Miloud puisse travailler. Nous sommes à la campagne, ce n’est pas facile sans papiers. De plus, j’ai 15 ans de plus que lui, donc aux yeux de l’administration c’est bizarre !
Mais je ne doute pas du tout du fait que sa relation avec moi soit de l’amour et non pour les papiers comme certains le craignent pour moi. Je pense que pour nous le plus dur est fait. Bonne chance à tous ceux qui galèrent. Entourez-vous (amis, associations, avocat…) faites marcher les réseaux…

Maryse

 

Avr 282014
 

                        LOGO DES AMOUREUX AU BAN PUBLIC           LaCimade_siege_ROUGE_petit

Le 09 avril, l’Institution « le Défenseur des Droits » a reconnu que le traitement moins favorable accordé aux conjoints de français par rapport aux conjoints de ressortissants d’autres Etats-membres de l’Union européenne résidant en France constitue une discrimination qui doit cesser. Le Défenseur des Droits a demandé à cet effet au Ministre de l’Intérieur de prendre en considération ses recommandations et de procéder à une modification substantielle de certains articles du Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile (CESEDA).

Après quinze ans de restrictions apportées aux droits des conjoints de Français au nom de la lutte contre les mariages de complaisance, la prise en compte des recommandations du Défenseur des droits constituerait une progression significative. Elles permettraient notamment aux conjoints de Français de déposer une demande de titre de séjour sans avoir à répondre à l’obligation de présenter un visa long séjour, souvent difficile à obtenir du fait de l’opacité des pratiques consulaires et accéder plus rapidement et de façon non arbitraire à la carte de résident (valable 10 ans) permettant au conjoint de s’établir de façon stable.

Les Amoureux au ban public et la Cimade n’ont cessé d’alerter les autorités publiques de la situation. Le  17 septembre 2008, ils saisissaient la Halde (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité) de treize dossiers révélateurs de ces discriminations.  Ils ont par ailleurs interpellé à plusieurs reprises le Ministère de l’Intérieur sur les problématiques récurrentes auxquelles font face les conjoints de Français, dans l’optique de voir ces questions prises en compte dans l’écriture du projet de loi sur l’immigration continuellement reporté depuis l’année dernière.

Par conséquent, les Amoureux au ban public et la Cimade se félicitent de la teneur de la décision du Défenseur des Droits, qui va dans le sens des revendications portées par les couples franco-étrangers pour la reconnaissance et le respect de leur droit à une vie privée et familiale.

Toutefois, nos deux associations restent vigilantes et préoccupées de la diligence avec laquelle seront envisagées ces modifications législatives.

A lire : Décision du Défenseur des droits MLD 2014-71 du 9 avril 2014

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