Jan 172017
 

Découvrez sur le site de «Libération» les témoignages de celles et ceux qui traversent la galère des files d’attente en Préfecture…

Pour ce deuxième épisode, rencontre avec des jeunes qui, tout au long de leurs différentes démarches, se heurtent souvent à une caricature de la bureaucratie, en guise de tout premier contact avec la France. Tous ont requis l’anonymat : les prénoms ont été changés.

Par Dounia Hadni

Dans le froid glacial d’une matinée de janvier, Salma et son mari ressortent soulagés – et néanmoins en colère – de leur rendez-vous à la préfecture, le titre de séjour «vie privée et familiale» en main. Salma a tenté différentes approches pour pouvoir travailler, de sa demande de statut de «salarié» à celle-ci.

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La jeune femme d’origine marocaine raconte les obstacles auxquels elle a dû faire face. Son mari, pressé, doit retourner travailler car ce passage express à la préfecture n’était pas au programme, comme l’explique Salma, qui tire sur sa cigarette nerveusement tout en récapitulant le processus administratif par lequel elle est passée depuis son arrivée en France, en 2007.

«Je suis arrivée du Maroc après l’obtention de mon bac français. Ça fait neuf ans que je viens au moins une fois par an à la préfecture et le plus dur c’est de supporter qu’on nous parle comme de la merde. Mais cette année a été la plus « hardcore ». En septembre, j’ai fait une demande de rendez-vous pour passer du statut d’étudiant à celui de salarié. Un rendez-vous que je n’ai réussi à obtenir qu’en janvier. Or, j’étais censée commencer mon travail en décembre et mes employeurs, qui avaient décidé de me recruter à la suite de mon alternance au sein de leur entreprise dès le mois d’octobre, attendent que ma situation soit régularisée depuis. Sauf que la préfecture a exigé que je demande, avant d’entamer ce processus, une autorisation provisoire de séjour (APS).»

L’APS est censée marquer une transition (de six mois à un an en fonction des nationalités) pour donner le temps aux étudiants détenteurs d’un master de trouver du travail. Dans le cas de Salma, non seulement ça n’a aucun sens, mais c’est un réel frein puisqu’elle avait déjà décroché un CDD et que ce statut-là ne lui permettrait pas de travailler à plein-temps.

«J’ai gueulé, ça a marché»

Par peur de ne pas être opérationnelle rapidement compte tenu des délais très longs de cette procédure puis de celle du changement de statut (qui peut prendre jusqu’à un à deux mois pour le récépissé, trois à cinq mois pour l’obtention effective du statut), et de l’impatience de ses employeurs, Salma a eu la chance de pouvoir changer de fusil d’épaule : «Comme mon mari et mon fils (qui a quelques mois) sont français, j’ai voulu tenter la « vie privée et familiale ». Mon rendez-vous était donc fixé au 5 janvier sauf que la préfecture, en raison d’un sous-effectif et/ou d’une panne, l’a reporté au 13 février. Or d’ici là, c’est sûr, j’aurais perdu mon boulot… Là, je suis en situation irrégulière depuis le 7 décembre et comme je ne voyais pas le bout du tunnel, j’ai gueulé pour avancer mon rendez-vous. Ça a marché : on m’a dit de revenir aujourd’hui au lieu du 13 février. Comme quoi, les procédures ne sont pas aussi rigides que ce qu’on voudrait bien nous faire croire.»

Alors qu’elle reprenait confiance, Salma a été choquée par l’attitude d’un agent qui s’occupait de son cas. Ce dernier lui aurait dit d’emblée : «J’ai donné un délai à trois personnes qui devaient venir aujourd’hui et qui ne sont pas venues. Vous allez trinquer pour les autres.» Avant de continuer : «A cause de vous, je vais en prendre plein la gueule.»

«Je suis en colère : j’ai un bébé, on a un loyer de 1 800 euros à payer, une assistante maternelle qui nous coûte 1 000 euros, on ne touche pas la CAF, mon accouchement à la clinique nous a coûté 6 000 euros. On nous demande de justifier pendant des années de nos ressources, de nos diplômes, etc. J’ai eu un double master IAE/ESC Montpellier, mon alternance m’a coûté 15 000 euros. Une fortune dépensée en France. Tout ça pour être bloqué une fois qu’on réussit et entendre qu’on « profite du système français ». Il ne faut pas s’étonner de voir que les étrangers ne travaillent pas quand, nous, parfaitement intégrés et aptes (encore faut-il que l’administration nous le permette) à subvenir à nos besoins, sommes traités de la sorte», assène-t-elle.

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Déc 112013
 

 

A lire sur le site du Midi Libre, un article du 11 décembre 2013 retrace le parcours de femmes conjointes de français victimes de violences conjugales. 

 

Elles sont aujourd'hui menacées d'expulsion, après avoir quitté leur mari violent et déposé plainte auprès des services de police. C'est la rupture de la vie commune qui est mise en cause par l'administration. Absurde et cruel.

 

"GARD : battues, elles déposent plainte et sont expulsées"

Par Laure Ducos

Trois Gardoises mariées à des Français ont reçu une obligation de quitter le territoire après avoir averti la police des sévices qu’elles subissaient. Explications.

 

Le rendez-vous est pris. À la nuit tombante, dans un lieu tenu secret, trois femmes d’une beauté pleine de dignité s’avancent, collées les unes aux autres. Chaque mot qui sera alors prononcé sera pesé, empli de méfiance. Elles sont terrorisées. Et vivent en permanence cachées, dans la peur. Nadia, Layane et Sherazade (1) ne se connaissaient pas, mais aujourd’hui, ces femmes vivant dans le Gard sont plus que jamais liées par leur histoire : battues pendant des mois, voire des années, elles ont porté plainte contre leur mari pour violences conjugales et se retrouvent à cause de cela dans une situation ubuesque.

La rage d’obtenir un semblant de justice

La préfecture leur a signalé leur obligation de quitter le territoire juste parce qu’elles ont quitté leur bourreau (2), au motif qu’elles n’ont ni enfant et qu’elles ont rompu la vie commune. Trois femmes courageuses, qui oscillent entre désespoir, larmes mais aussi la rage d’obtenir un semblant de justice. Trois femmes qui, par leur obstination, forcent le respect. Trois parcours quelque peu différents, avec la même issue.

"Je ne savais pas que ce n’était pas normal"

Sherazade n’a pas 30 ans. Les larmes aux yeux, elle raconte son calvaire au quotidien avec ce Français venu "l’acheter" dans son pays. "Il était très âgé et très riche. Mes parents ont cru que je serai bien avec lui, en France." Mais à son arrivée dans la maison gardoise, "après le déchirement d’avoir quitté les miens", la toute jeune femme comprend très vite ce qu’elle va devoir endurer, et ce pendant des années.

"J’étais comme son esclave. J’avais l’impression d’être mariée avec mon grand-père. Je ne peux pas dire tout ce qu’il m’a fait subir, les insultes racistes me faisant comprendre que je n’étais rien, les coups, les objets jetés sur mon visage et surtout les sévices sexuels que je devais accepter." Ne parlant pas le français, elle ne pouvait pas se défendre, même avec des mots. "J’ai tout gardé en moi, mes parents ne sont pas au courant et surtout je ne savais pas que ce qu’il faisait n’était pas normal, ni condamné par la loi."

"Je m’en veux de ne pas m’être défendue"

La jeune épouse, interdite de sortir, est (heureusement) tenue de se rendre à des cours de français afin d’obtenir son titre de séjour. "La formatrice m’a aidée, m’a fait comprendre que je pouvais avoir une autre vie. "Par la suite, elle décide de commencer des études. Son époux refuse, la met dehors et porte plainte contre elle pour violences. "Je ne l’ai jamais frappé. Et pourquoi ? Je m’en veux de ne pas m’être défendue." Aujourd’hui, elle vit recluse mais se reconstruit doucement et a même obtenu un travail en CDI.

Nadia, la quadra du groupe, essaie de ne pas trop montrer son émotion. "Le jour où je suis rentrée chez lui, je n’étais plus rien", avoue-t-elle la gorge serrée. Interdite de regarder la télé ou de s’asseoir sur le canapé, elle devait obéir à celui qui avait été si charmant avant leur mariage. "Mais que faire d’autres, à part accepter. Accepter l’humiliation, les coups et tout le reste."

Si elle revient, il la tuera

Un jour, l’homme se lasse, la jette dehors et lui annonce que si elle revient, il la tuera. La première nuit, elle dormira dans la rue, puis elle sera accueillie par une dame avant d’entamer des démarches. "Pour pouvoir bénéficier d’aides, il fallait que je porte plainte." La peur au ventre, elle s’exécute. Elle travaille alors dans le nettoyage jusqu’à la notification de la préfecture.

 Depuis, elle se terre et malgré une promesse d’embauche en CDI, l’administration ne veut rien entendre. "Pour mes proches, j’aurais dû rester avec lui. Comment prouver ce qu’il se passe dans le huis clos d’une maison."

"J’étais folle de lui. Les coups sont tombés très rapidement"

Contrairement aux deux autres, Layane, la vingtaine, a fait un mariage d’amour, ni forcé, ni arrangé. "J’étais folle de lui, annonce-t-elle, les yeux pétillants. Les coups sont tombés très rapidement. J’ai pardonné maintes fois, à chaque fois…" Jusqu’au jour où la voisine prévient la police. "Il m’a mis dehors et menacée." Après sa plainte, certificats médicaux à l’appui, il la tabassera dans la rue. Mais comme ses consœurs de circonstance, toutes ses dépositions seront classées sans suite. "On est victimes quatre fois : de notre famille, nous ne sommes plus les bienvenues, des coups de nos maris, de la justice, qui a classé les affaires, et de l’administration du pays des droits de l’Homme." Elle aussi est intégrée dans notre société, elle a un CDI et loue même un petit appartement.

"Eux, ils ont été violents, ils ne risquent rien. Nous, nous sommes victimes, voire esclaves, et on a tout risqué. On veut rester en France, rien, ni personne ne nous attendent dans notre pays." Et finalement, en leur envoyant une notification d’expulsion, l’État ne donne-t-il pas raison à ces hommes ? Ces femmes, sans leur mari, ne sont rien et n’ont aucun droit.

 
 Publié par le 11 décembre 2013